La Puissante Union
Nous nous tenons sur les remparts du château de Guillaume le Conquérant, les bras chargés de drapeaux multicolores et les poches remplies d'argent en prévision de nos futurs achats. Tout les six, nous contemplons l'immense défilé arc-en-ciel s'étalant à nos pieds que nous allons bientôt rejoindre. Un an d'attente et de préparatifs nous ont rendu plus hystériques que jamais quant à la Marche des Fiertés qui bat actuellement son plein parmis la population caennaise. Nous recomptons une dernière fois le montant total de nos économies puis nous descendons des remparts, dévalons la colline au pas de course et entrons dans la marée humaine avec l'aisance d'un banc de truites qu'on rejette à l'eau après l'avoir péché.
Les amis et moi, arborons avec fierté nos colliers achetés l'année dernière aux stands. Cette gaypride est synonyme de liberté pure pour chacun de nous, moi li premieri, mais il évoque cette année pour moi, un besoin de fraternité, une nécessité. Tant de liberté nous a été retiré depuis la création de la Puissante Union... Je me demande combien de temps il faudra à notre nouvelle présidente pour interdire la Marche des fiertés.
Nous passons devant un bar à l'aspect vieillot situé en face de la place du théâtre. Je me penche vers la seule personne de mon groupe avec qui j'ai partagé mes quatre années de collège :"Tu penses que monsieur René sera là comme l'année dernière ?"
-C'est possible. Ce bar à l'air d'être son repaire pendant la gaypride. Tu l'as revu depuis la dernière ?
-Pas une seule fois.
Je souris. Monsieur René est mon ancien professeur de francais. Anti-conformiste sous tout les angles, dramaturge notoire au cynisme aiguisé et à la tenue vestimentaire qualifié le plus souvent d'improbable ; Ce quinquagénaire est aussi perspicace qu'intimidant. Ouvertement bisexuel, il assiste tout les ans à la Marche des Fiertés depuis ce bar, se déléctant de cet océan coloré sans y prendre part. Depuis deux ans, cet événement est presque devenu notre rendez-vous annuel. Je viens lui passer le bonjours ainsi que quelques nouvelles en particuliers dans le domaine scolaire (en bon professeur qu'il est, il a promit de me tirer les oreilles si je me reposait sur mes acquis. Chose que j'ai fait pendant un temps avant de me reprendre en main).
-Je vais voir s'il est là. Je vous rejoins tout-à-l'heure ! " dis-je à mon acolyte avant de m'élancer vers le bar.
Il n'y a cependant aucune trace qui laisserait deviner le passage de monsieur René. Je rôde autour des tables de dehors pendant cinq minutes avant de laisser tomber, un peu déçui : A l'évidence, mon ancien prof de français ne se montrera pas cette année.
Voilà une heure que nous suivons le cortège LGBT. Je jette un coup d'oeil aux autres : ils ont l'air aussi euphoriques que moi, cela fait plaisir à voir. Soudain, le défilé arc-en-ciel croise la route d'un bataillon de CRS. Environ une quarantaine d'hommes casqué et armés de matraques et de boucliers nous observent, immobiles. Beaucoup leur jettent des regards soucieux mais rares sont ceux parmis nous que cette vision étonne. Par les temps qui courent et la vague d'attentats terroristes présente dans le pays depuis plus de trois ans, il est fréquent que les manifestations et autres défilés soient encadrés par les forces de l'ordre. La Gaypride ne fait pas exeption. Mes yeux n'arrivent cependant pas à se détacher du cordon. Les CRS sont la milice de la police. Le premier rempart de défense à intervenir dans les mouvements de foules. Ils s'assurent que l'on puisse continuer de s'exprimer sans craindre d'être attaqués. Ils veillent à notre protection.
Actuellement, nos soldats de la paix marchent lentement vers nous en martelant leurs boucliers à coup de matraques. Mon cœur s'arrête en même temps que mes jambes.
Ils nous attaquent.
Et nous sommes totalement vulnérables.
Mes yeux s'aggrandissent de terreur, mon souffle se bloque. Je me tourne vers ma petite bande et nous nous lançons un regard qui en dit plus que n'importe quel mot sur notre détresse. L'un d'eux ouvre la bouche mais nous ne saurons jamais ce qu'il a voulu dire car à ce moment-là, la foule en proie à la panique se précipite en arrière et mon groupe disparaît de ma vue. Brutalement projeté au sol, je roule sur le ventre et j'ai juste le temps de me recroqueviller, la tête recouverte de mes mains, avant de me faire littéralement piétiner par les soixante dix personnes qui se trouvaient devant moi, un instant auparavant.
Autour de moi, tout n'est plus que cris et bousculades. Je demeure couchéi en position foetale sur le goudron de la route, le visage crispé, tandis qu'une floppé de personnes me passe dessus tel un troupeau de gnous. Mon cerveau peine à encaisser la vitesse du choc. Il y a à peine une minute, je défilais fièrement dans la rue en compagnie de mes meilleurs amis, fièri de manifester pour la tolérance humaine. Et maintenant....
La foule au dessus semble se clairsemer quelques peu. Peut-être pourrais-je me remettre debout pour tenter de comprendre ce qu'il se passe ? J'essaye maladroitement de me remettre sur mes jambes, en vain. Une personne à dû marcher sur ma jambe gauche car je ne parvient pas à bouger mon tibia et mes côtes sont si douloureuses que respirer m'est un calvaire. De toute façon, je n'ai pas besoin de faire d'avantage d'efforts car deux gigantesques mains me soulèvent, me traînent comme si je n'étais qu'une vulgaire poupée de chiffon, et me secouent violemment en me bombardant de questions auxquelles je ne suis plus en état de comprendre quoi que ce soit. À moitié inconscienti, je me laisse malmener jusqu'à ce que les deux mains me posent finalement dans un abri sombre et légèrement surélevé, avant de s'éloigner. Je ne trouve pas la force de rouvrir les yeux. Je me contente alors d'attendre en silence, couché sur ce sol glacial, les muscles comme chauffés à blanc.
Après quelques instants d'hébétitude, je me met doucement en position assise et découvre que je suis actuellement enferméi dans ce qu'il me semble être l'arrière d'un camion. Probablement celui des CRS. À cette pensée, l'angoisse me sert les entrailles... Les CRS avaient donc bel et bien attaqués la Marche des Fiertés ? Alors que nous étions sans armes ? Mais pourquoi donc ?! Quelle délit justifiait une attaque aussi lâche et cruelle ? Je tente de me remémorer la scène. Le cordon marchant au pas devant nous en martelant leurs boucliers dans un concert tonitruant, la foule revenant sur ses pas, écrasant les plus faibles sur son passage, ma bande disparraissant sous mes yeux... Une horrible pensée m'assaille : Que sont-ils devenus tout les cinq ? Sont-ils parvenus à rester ensemble ? Et si jamais ce n'est pas le cas, vont-ils tous bien ? Et si l'un d'eux était blessé...
A cette pensée, un haut-le-corps me parcourt et je courbe violement l'échine pour vomir sur le sol du camion. Des tremblements m'assaillent et je n'ai plus la force de penser d'avantage. Je ne peux qu'attendre.
***
-Nom, prénom, date de naissance.
-Koubatsou Salomon, le 28 mai 2000.
-Bien. Votre lieu de résidence.
Je ne répond pas. Je sais que j'ai le droit de garder le silence et de ne pas répondre aux questions des policiers. Seul mon état civil est obligatoire. Pour le reste, qu'ils se débrouillent. Je ne vais pas leur faciliter la tâche si je peux l'éviter.
Le policier qui m'interroge fronce les sourcils.
-Vous avez le droit de garder le silence si vous le souhaitez. " Dit-il froidement.
Il continue néanmoins à m'interroger, ne pouvant aller contre la procédure de garde à vue.
-Que faisiez-vous dans ce défilé monsieur...ou madame ?
-Migens. Migens Koubatsou je vous prie.
-Oh ! Vous faites donc partie des....
Il semble chercher ses mots. Mais je ne l'aiderais pas à s'exprimer. Effectivement je suis agenre depuis plus d'un an. Un corps vaguement de femme, un caractère vaguement de garçon, un nom masculin... Cette inauguration du genre neutre a secoué la France comme jamais auparavant. Mais ce qui est fait est fait et aucun individu ne se risquerait à me traiter en public d'erreur de la nature. Du moins, c'était le cas il n'y a pas si longtemps....
L'agent ouvre la bouche mais je le prends de vitesse.
-Pourquoi avoir attaqué la Marche des Fiertés ?
-Si vous ne répondez pas à mes questions, je ne vois pas pourquoi je répondrais aux vôtres ! " s'exclame le policier, furibond. "Mais pour cette question-ci, sachez que ce n'était pas une attaque (tu parles ! pensais-je. Ma jambe gauche est toujours inactives et des ecchymoses parsèment mes côtes.) mais un ordre donné aux forces de l'ordre par la Puissante Union en personne.
Autrement dit, par Marine Le pen et ses deux copains.
-Et ça vous avance à quoi de tabasser des homos et de les enfermer ?
Le policier se lève, m'empoigne le bras, et me reconduit dans ma cellule, agacé.
- Je n'ai ni à me justifier, ni à m'expliquer. Tout ce que je peux te dire c'est que tu pars demain matin dans une institution en Amérique avec d'autres participants de votre fête. Ne me demande pas pourquoi ni où, je n'en sais rien et je ne veux pas le savoir ! Tout cela ne me concerne pas !" Il marque une courte pause avant de ruminer en baissant les yeux : "C'est une affaire importante."
***
Je passe donc la nuit en prison, sans aucun moyen de savoir ce qu'il est advenu de mes amis. Sans avoir pu obtenir aucun contact avec mes proches. Sans savoir de quoi l'on m'accuse, moi qui n'est rien fait d'autre que de participer à un défilé pacifique et parfaitement autorisé. Sans savoir ce qu'il s'est réellement passé pendant cette attaque...
Le lendemain, un camion de police nous attends, moi et deux autres interpellés. Le signe dont il est marqué - à savoir trois rayons blanc et noirs côtes-à-côtes dirigés vers un cercle bleu- montre qu'il est réquisitionné par la Puissante Union. Autrement dit, en nous embarquant pour une destination inconnnue, il œuvre pour le pays, ce qui me donne une raison de plus de m'inquiéter.
Le camion est déjà remplis d'autres personnes, si bien que l'on peut à peine s'y asseoir. Une fois le camion fermé, une brève secousse nous informe que notre voyage jusqu'en Amérique a démarré. Le trajet se fait dans un climat de tension palpable : personne ne semble savoir la raison pour laquelle nous sommes enfermés. A part le fait que nous soyons tous des participants des différentes Marches des Fiertés du pays. Mais en quoi serait-ce un mobile pour nous arréter ?
L'un d'entre nous, un jeune homme imberbe aux traits durs nommé Isaac, interpelle le policier assis à la place passagère avant :
"Crachez-donc le morceau ! C'est parce qu'on est pas hétéro que vous nous kidnappez c'est ça ?"
-Ce n'est pas ce que vous pensez ! Répond le policier en évitant le regard d'Isaac. Nous n'avons absolument rien contre vous. Il s'agit uniquement d'un recensement de la population activiste LGBT. Nous souhaitons uniquement en apprendre plus sur ce phénomène afin de pouvoir subvenir le mieux possible à vos besoins.
-Un recensement ! Ne me faites pas rire !
Isaac commence doucement à s'énerver. Tout les passagers du camion observe l'altércation sans en perdre une miette. "
Si il ne s'agissait que de nous recenser, pourquoi nous avoir attaqué puis enlevé sans qu'on est le temps d'avertir nos proches ! Et pourquoi aucun d'entre vous ne nous dit clairement ce qui nous attends là où nous allons !
Je m'approche tant bien que mal d'Isaac. Je pose ma main sur son épaule dans une tentative d'apaisement. Il n'a pas tort, cette idée tordue de la Puissante Union ne ressemble en rien à une innocente procédure de resencement. Mais ce n'est pas la première fois que cette alliance maudite fait fi des lois et des droits. La Puissante Union a été créé en 2017 et définie l'alliance entre les pays des dirigeants Donald Trump, Marine Le pen et Vladimir Poutine. Le but de cette entente est de s'unir afin d'éradiquer la déviance et le danger de la planète. Leur première action fût d'anéantir l'organisation/Etat islamique Daesh.... en larguant cinq bombes atomiques sur la Syrie. En une seconde c'était fini. Et pas seulement de Daesh mais du pays entier. Tout les habitants de la Syrie ont été pulvérisé dans le bombardement. Ce territoire est désormais un gigantesque no man's land où personne hormis les scientifique de la Puissante Union, n'a le droit de pénétrer. Evidemment, cette méthode d'extermination a causé bien du remous au cœur des pays du monde et du siège de l'ONU. Mais tous on dû s'incliner. Si terribles que soient les conséquences, le groupe/Etat islamique avait été vaincu, comme l'avait promis la Puissante Union. Personne ne peut y retrouver à redire.
***
Ce soir, s'achève un épuisant voyage de trente-six heures où, suite au camion, nous avons traversé l'océan Atlantique à bord d'un avion de marchandise privé et avons enfin débarqué sur le sol américain.
Nous sommes épuisés et anxieux de ce qui nous attends mais aucun d'entre nous n'ose piper mot. Le mouvement de révolte d'Isaac dans le train s'est soldé par un tabassage à coup de gourdin par le policier assis à côté du conducteur. Le jeune détenu en a récolté plusieurs contusions et hématomes que personnes n'est en mesure de soigner. Comme il avait trop mal pour marcher, je lui ai fait cadeau d'une des béquilles que l'on m'a donné à mon arrivé au commissariat pour m'aider à marcher malgrès mon entorse à la jambe. Je l'aide du mieux que je peux à avancer en plaçant son bras par dessus mon épaule. Nous suivons tant bien que mal notre groupe jusqu'à une petite baraque situé au pied de l'aéroport. En nous voyant claudiquer jusqu'au baraquement, les policiers chargés de nous prendre en charge éclatent de rire en nous montrant du doigt sans la moindre gène. Je devine que l'on doit ressembler à une belle bande de bras cassés Isaac et moi. Même si, dans le cas présent, ce sont surtout nos jambes qui sont hors-service.
Nous nous laissons tout deux tomber sur le sol du baraquement où nos trente compagnons tentent de s'installer. Il y a plusieurs lits superposés et quelques tapis de sol sur lesquels nous sommes apparement sensés vivre pendant un moment. Il n'y a aucun espace sanitaire dans la pièce. Le confort général est relativement spartiate mais il serait idiot de faire les difficiles à présent que l'on nous offre un endroit où se reposer.
Je lance à la cantonnade : "Où y a-t-il encore des lits disponibles s'il vous plaît ?
-Navré, vous êtes arrivé trop tard ! Me répond une jeune femme aux cheveux ras et au teint cireux qui me regarde d'un air curieux, perchée sur un lit en hauteur.
Elle me montre du doigt deux tapis de sol vides situés à côté de la porte. Je soupire et entraîne Isaac vers l'endroit indiqué. Ce dernier a du mal à cacher son dégoût.
-C'est tout ce qu'ils ont trouvé comme endroit pour nous parquer ?" Il s'assoit sur le tapis en fesant une grimaçe de douleur. "Une vieille baraque minuscule et des tapis dont l'épaisseur est plus faible que celle de mon petit doigt ! Ce n'est pas comme ça qu'on traite des êtres vivants ! Et attends un peu de savoir ce qu'ils comptent faire de nous. Car tu peux être sûr qu'il ne nous ont pas emmené là pour nous compter. A mon avis, ça m'étonnerai fortement qu'on rentre bientôt chez nous.
-Tu es parano, répliquais-je avec véhémence, D'accord, on ne sait pas en quoi on les intéresse et ça n'a pas l'air d'être une raison réjouissante mais ils n'ont encore rien fait de mal !
J'ai à peine prononcé ces mots que je les regrette déjà. Rien n'est plus faux. Les forces de la Puissante Union ont attaqué des milliers de gens désarmés, ils en ont littéralement kidnappé une trentaine en leur infligeant au passages de sévère corrections physiques (mon regard se pose sur le visage tuméfié d'Isaac et sur ma jambe en compote) et les ont parqué comme des bêtes dans un baraquement à l'hygiène déplorable et au confort inexistant. Le tout, dans un but inconnu au sujet duquel nous sommes tenu en totale ignorance. Je me laisse choir à côté d'Isaac, incapable de continuer plus longtemps à me voiler la face. Quel que soit la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui, il faut bien accepter la douloureuse vérité : On est dans le pétrin.
***
"Prenez chacun un badge puis suivez moi !"
Comme l'on pouvait s'y attendre, Isaac sort de ses gonds en voyant la forme du sois-disant badge : un triangle rose ! Je peine moi aussi à garder le contrôle de mes nerfs ! Ne savent-ils donc pas que le triangle rose était le signe que portaient les homosexuels dans les camp d'exterminations Nazis ?
Isaac hurle sur le policier nous servant nos badges :
-Ne me dites pas que vous ne connaissez pas l'origine de cette chose ! Voilà qui veut tout dire sur votre imbécillité et votre prétendu recensement. Je ne porterai pas le triangle rose, conclut-il d'un regard féroce en jetant par terre son badge avant de l'écraser avec son pied.
Les officiers se jettent des regards à la fois exaspérés et amusés. Isaac se mettait en colère tellement de fois que ça le rendait comique aux yeux des membres de la PA (l'abréviation de la Puissante Union). Mais je me doutais que son insolence ne serait pas toléré éternellement. Je lui agrippe le bras et tente de le faire rentrer dans le rang mais mon mouvement est avorté par l'arrivée de l'un des gardes qui me pousse de son chemin avec une telle violence que je titube et tombe à terre. Je relève la tête à temps pour voir le garde s'approcher sans bruit derrière Isaac, brandir sa matraque et lui asséner un coup surpuissant dans le bas de la colonne vertébrale. Un craquement sinistre se fit entendre. Isaac cracha des jets de bile, les yeux exhorbités, avant de s'effondrer sur le sol, agité de violents spasmes.
Je me précipite vers lui mais la jeune femme au teint pâle qui m'avait interpellé hier soir dans la baraque me barre la route d'un bras et me repousse en arrière en jetant des regards anxieux aux officiers dont toute l'attention est concentré sur Gabriel, un homme d'âge mûr qui avait volé au secours d'Isaac dont de l'écume maculait les lèvres.
J'essaie de repousser la fille, écumanti de colère:
"Laisses-moi l'aider ! On ne peut pas le laisser là ! Tu voudrais qu'il crève ou quoi?"
-Si tu intervient, ils te tabasseront aussi ! Me murmure-t-elle, ses yeux reflétant autant de peur que de colère.
Elle n'a pas tort car une seconde plus tard, Les PA se ruent sur Gabriel en brandissant leur matraque. Le pauvre homme disparaît sous les coups. Il ne nous apparaît désormais plus que sous la forme de longs hurlements de douleur.
Pendant plus de 5 minutes, les coups pleuvent sur le corps frêle de Gabriel. Ses hurlements ont diminués en puissance. Mais ce n'est que quand il finit par se taire après avoir perdu connaissance , que les officiers rabaissent leurs armes et s'éloigne du corps désarticulé qui git à présent devant nos yeux médusés. De Gabriel, il ne reste qu'un tas grotesque de chair et de sang. Plus aucun prisonnier n'ose respirer. Chacun se contente d'agraffer son triangle sur sa poitrine en silence, le regard voilé par l'horreur sans nom qui venait de se produire.
La colère qui enflait en moi depuis la rafle me submerge à présent presque totalement. Je fais un pas en direction des gardes et m'apprête à brandir mon poing mais le plus grand d'entre eux me l'aggrippe et me le broie sauvagement, faisant craquer tout mes doigts d'un coup. Je hurle pitoyablement de douleur et tombe à genoux sous la pression du bras musculeux qui me compresse la paume. Ma rage est maintenant tempérée par ma douleur lancinante qui m'empèche d'avoir les idées clair. Mes pensées deviennent de plus en plus confuses; un mélange informe de sensations déstructrices.
les PA nous remettent en rang, nous hurlent dessus quelques loi sur le respect des consignes et l'obéissance dû à un membre de la Puissante Union, puis nous emmènent à pied vers notre prochaine destination inconnue, abandonnant derrière nous le corps sanguinolent de Gabriel et celui tremblant d'Isaac qui semble suivre des yeux notre petit cortège. Je me retourne pour croiser une dernière fois le regard de celui qui aurait pu devenir mon ami, et j'y lis un avertissement, un message qui n'aurait pu être plus clair s'il l'avait hurlé :
"Ils vous tuerons aussi. Votre tour peut venir à tout moment. Peut-être dans un mois. Peut-être demain."
***
J'ai oublié pourquoi je suis là.
Pourquoi suis-je en Amérique ?
Pourquoi dois-je obéir à une horde de policiers aussi barbares que méprisants ?
Qui m'a agraffé ce ridicule triangle rose sur ma belle chemise multicolore ?
Je ne sais plus très bien depuis combien de temps je suis partii de chez moi. D'ailleur, pourquoi suis-je partii déjà ? Qu'est ce que je fais là, parmis ces hommes et femmes au visage sombre, alors que je suis censéi m'entraîner pour mon bac le mois prochain ? Tout est arrivé à la Marche des fiertés... Et si je m'étais endormii juste avant d'y aller ? Oui, sûrement... Je vais bientôt me réveiller chez moi, mes amis vont toujours bien, qui pourrait attaquer le défilé LGBT ? J'aurais dû comprendre cela plus tôt ! Je ne fais qu'imaginer tout cela bien sûr. Il est impossible que je sois actuellement occupéi à me tenir droit façe à un officier PA qui gueule des paroles dont j'ai de plus en plus de mal à comprendre le sens.
"Le président Trump est en train de visiter les nouveaux locaux qui vous seront attribués. Vous ne pourrez plus vous plaindre du manque de confort cette fois car vous disposerez tous d'une chambre individuelle."
Donald Trump visite nos chambres ? Cela me paraît étrange... Qui est ce bonhomme déjà ? Je ne m'en rappelle plus... Ce n'était pas lui qui avez suggéré à madame Le pen, la loi qui a fait disparaître toute les personnes de plus de 70 ans ? Oui, je crois m'en souvenir. La durée de vie s'allongeait et le nombre grandissant de retraités coûtait trop cher à l'Etat. Trump a proposé de les extrader en Amérique d'où aucun n'est jamais revenu. Ça semble me revenir maintenant : c'est le président des États-Unis ! C'est étrange. Comment ai-je pu oublier ça ?
Tiens, d'ailleurs le voici qui arrive ! Il est moche. Plus qu'à la télé. Je crois qu'il commence à nous parler mais j'ai beau tendre l'oreill au maximum, je ne parviens à entendre qu'un vague son indistinct. Peut-être est ce normal après tout. Pourquoi serais-ce normal ? Eh bien parce que je commence à comprendre que je ne connaissais rien de la normalité et de la réalité. Ces policiers me l'ont fait compendre. Après tout, peut-être est ce normal que mes sens semblent se retracter, qu'en sais-je ? Je n'ai qu'à demander à Donald ce qu'il en pense.... Oui, cela me paraît être une bonne idée.
Je sors du rang est me retrouve presque immédiatement à quatre pattes. C'est vrai, j'avais oublié ma jambe. Mais alors comment suis-je parvenu ici si je ne peux pas marcher ? Il faudra que je lui demande ça aussi. Je me traîne au sol vers l'endroit où je pense avoir vu le président. C'est étrange, le sol me paraît trembler. Je regarde autour de moi. Les porteurs du triangle rose me regardent d'un air apeuré et piétinent sur place comme s'ils hésitaient à me rejoindre. Je remarque que les officiers et monsieur Trump semblent perturbés eux-aussi. Il me montrent du doigt en faisant de grands gestes. C'est étrange. Laissez-moi tranquilli ! Ce n'est pas grave si je pose une question au président. Je suis sûr qu'il connaît la réponse. Mais quel était cette question déjà ? J'ai décidément bien du mal à penser aujourd'hui... Je n'étais pas comme ça avant pourtant...
J'aperçoit Isaac qui vient vers moi. C'est étrange. La dernière fois que je l'ai vu, n'était-il pas aux portes de la mort ? Enfin, s'il est en bonne santé finalement, je ne vais pas m'en plaindre. Il s'arrête juste en face de moi et me regarde d'un air neutre :
"C'est ton tour."
Mon tour ? Mon tour de quoi ? Etrangement, je crois le savoir.
J'ai envie de chanter.
Là, maintenant, tout de suite, devant tout le monde.
Je vais montrer à monsieur Trump comme je chante bien. Peut-être qu'ensuite il voudra bien répondre à ma question. Même si je ne sais plus ce que c'est.
Je regarde Isaac. Il me sourit en faisant un clin d'oeil. Ca doit vouloir dire que j'ai raison, que c'est ce que je dois faire ! Je me tourne alors vers Trump qui commence à marcher dans ma direction d'un pas précipité en continuant de faire de grands gestes. Quelle chanson vais-je lui chanter ?
"Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne ?"
Je chante, je cris, je gueule à tue-tête, assis par terre, regardant dans les yeux le président américain dont j'ai l'impression que les traits se décomposent.
"Ohé partisans, ouviers et paysans, c'est l'alarme !
Ce soir, l'ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes."
Je crois discerner de l'écho dans ma chanson. C'est étrange. Est-ce les autres porteurs du triangle rose qui chantent avec moi ? Mais pourquoi donc ? Peut-être que cette chanson leur plaît... Je ne sais pas pourquoi je l'ai choisii. De toute façon, cela fait longtemps que je ne sais plus ce que je fais.
"Montez de la mine, descendez des collines camarades.
Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades."
Les officiers m'aggrippent les bras et me giflent. Ça ne m'arrête pas. Cette chanson sonne comme une évidence. La Puissante Union. L'ennemi. La résistance. La liberté. LGBT. Il y a une logique là-dessous. Je n'arrive pas totalement à saisir laquelle mais je sais que tout les morceaux du puzzle s'imbriquent dans ses paroles.
"Ohé les tueurs, à la balle ou au couteau, tuez vite !
Ohé saboteur, attention à ton fardeau, dynamite !"
J'encaisse les coups que l'on me donne . Je ne m'arrêterai pas. Dans mon esprit embrumé, une étrange logique se forme : Si je continue de chanter, tout s'arrangera. Cette chanson peut peut-être me sauver ! Nous sauver ! Fera-t-elle disparaître la Puissante Union ? Me ramènera-t-elle à la maison ? Fera-t-elle revenir les personnes âgées ? Je n'en ai pas la moindre idée. Je ne sais pas pourquoi il est si vitale de la chanter. Mais après tout, que sais-je ?
"C'est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères.
La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère."
Les PA me traînent jusqu'à l'entrepôt par où Trump est apparu. Ce dernier nous accompagne. Je comprend à présent qu'il est mon ennemi. C'est lui qui me parle :"
If you don't stop singing, I'm gonna have you shut up!"
Je n'ai pas compris ce qu'il a dit. Et au fond, quelle importance ?
"Il y a des pays où les gens au creux des lits, font des rêves.
Ici, nous, vois-tu, nous on marche et nous on tue, nous on crève !"
LGBT. LGBT. LGBT. Je ne m'arrêterai jamais. Personne ne me fera taire. Tout se recompose enfin dans ma tête. L'ennemi est là. L'ennemi, c'est lui.
"Mr Trump, can we do it?"
"Ici, chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait quand il passe
Ami, si tu tombe, un ami sort de l'ombre à ta place."
L'ennemi me fixe de ses petits yeux porcins puis hoche la tête de haut en bas. Qu'est-il en train d'approuver ? Peu importe. Je ne baisserai pas le regard. La chanson doit à tout prix continuer, je le sens. Je le sais maintenant .
"Demain, du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes !
Chantez compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute !"
On me plaque contre le mur de l'entrepot et on braque un pistolet vers moi. J'entend dehors la clameur des porteurs du triangle rose qui reprennent la chanson en cœur.
"Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaînes ?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne ?"
Trump appuie sur la détente.
"Oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh... "
FIN.
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