Monde des Rêves 2.0 de Salomon Koubatsou

Monde des Rêves 2.0 de Salomon Koubatsou

Je voudrais pas crever

 

   Si je vous dis “Boris Vian”, il y a fort à parier que vous me répondrez “l'Ecume des jours” ou bien “Le déserteur” (ou alors rien du tout si vous ne le connaissez pas). Alors certes, l'Ecume des jours est son oeuvre la plus connue mais le bonhomme en a fait tant d'autres... Si vous aimez les romans noirs et bien naturalistes, je vous conseille vivement de lire deux de ses meilleurs romans: J'irai cracher sur vos tombes et Elles se rendent pas compte (rien qu'aux titres, on sait déjà dans quel sens ça va partir).

 

   Les romans, les chansons... C'est bien, oui, mais Vian a aussi écrit de la poésie. En particulier, un des recueils de poèmes les plus incroyables et novateurs du XXème siècle (c'est mon avis totalement subjectif. Mais à mon sens, on n'accorde pas assez à la poésie l'importance qu'elle mérite. Et puisque c'est mon site, je dis ce que je veux nondidju!), retenez votre souffle et préparez-vous à un orgasme littéraire en découvrant le titre de ce chef-d'oeuvre: Je voudrais pas crever!

 

   Beaucoup pensent que la littérature, c'est chiant. Le nombres de pieds, les alexandrins, le nombre de strophe bien réglé... Apparement, Vian devait être de ceux-là car son recueil de poème s'amuse à singer, à parodier les codes de la poésie classique.

 

 

   Par exemple, les rimes. Quel casse-tête de devoir trouver des mots aux sonorités presque semblables pour simplement créer une vague mélodie entre les vers (C'est Vian qui le dit, pas moi). Les mots ont cela de contrariant qu'on ne peut pas toujours en faire ce qu'on veut. L'académie française a décidé qu'un fragment s'écrirait F-R-A-G-M-E-N-T et non F-R-A-G-U-E-M-A-N-S et il n'est pas en notre pouvoir de changer cette règle proche de la dictature alphabétique. Quelle tristesse! Boris Vian a sans doute était très vexé par cette loi quand il a créé ces quelques lignes répondant au doux nom de Si j'étais pohéteû:

 

Si j'étais pohéteû

Je serais ivrogneû

J'aurais un nez rougeû

Où j'empilerais

Plus de cent sonnais

Où j'empilerais

Mon noeuvreû complait.

 

   Clap! Clap! Clap!

 

   Quel délice! Vian se moque de la structure classique de la poésie, il la caricature si génialement... Mais comme les poètes romantiques, il interroge le statut de l'écrivain (ici, du poète) en en faisant le sujet éponyme de son petit poème (ce que j'ai toujours trouvé drôle puisque... “Si j'étais poète”... Tu en es un puisque tu en écris!)

 

   Je ne vais pas vous montrer tous les poèmes du recueil. Mais il faut reconnaître que ce sont tous des pépites. Vian y est souvent amusant, parfois satyrique et toujours piquant. Vian joue avec les mots, littéralement, et c'est à mon sens le but de la poèsie. Pouvoir expérimenter et s'amuser. Les mots dans un roman sont comme des fonctionnaires ou de vaillants soldats: ils sont bourrés de talent et d'importance mais n'ont pas le temps de diverger, ils ont une direction vers laquelle aller, ils ont une utilité et c'est la seule chose qu'il doivent suivre. Ils sont en quelques sorte prisonnier de l'histoire, de la narration.

 

   Alors qu'un poème n'a pas besoin de raconter, un poème peut se permettre de partir dans l'absurde, d'essayer de nouvelles choses, de défier des règles. Vian s'amuse de cette liberté et c'est, je me répète, un délice de le lire!

 

   Je ne saurais trop vous conseiller Je voudrais pas crever. Pour conclure cette critique (qui ressemble plus à un éloge), je vous laisse avec mon poème préféré du recueil, celui qui m'a définitivement fait tomber amoureux de la poésie.

 

   Petite précision: c'est un poème obéissant aux lois de la diérèse! Ainsi, il convient de faire toutes les liaisons et de prononcer chacune des lettres, mêmes muettes, pour que le texte montre l'entièreté de sa saveur:

 

Un homme tout nu marchait

L'habit à la main

L'habit à la main

C'est peut-être pas malin

Mais ça me fait rire

L'habit à la main

L'habit à la main

Ah ah ah ah ah ah ah

Un homme tout nu

Un homme tout nu

Qui marchait sur le chemin

Le costume à la main.

 

 

 

Je le redis mais quel génie!



24/05/2020
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