Chapitre 10:Ellie
-Et même si ça avait été le cas, qu'est ce qui m'en aurait empêché !?
-Rien! Absolument rien si ce n'est la bague que -laisse moi te le rappeler à nouveau- tu portes toujours!
-Ce n'est pas une bague, même crachant de la fumée, qui va m'interdire de reprendre contact avec Ellie!
-Si tu n'as pas encore réussi à l'enlever, c'est que ton esprit m'appartient encore. Je sais que tu tentes presque tous les jours de la retirer de ton doigt mais que tu échoues perpétuellement, Rémi Dellan! Tu n'as aucune raison de revoir cette humaine.
-C'était ma meilleure amie!
Dans un débordement de colère, Rémi envoie valser le canapé du salon.
-Cela fait des mois que l'on ne se parle plus elle et moi. Je n'aurais jamais osé imaginer renouer avec elle un jour.
Car je pensais mourir avant...
Je retrousse les lèvres et montre des dents d'un air menaçant, Le corps débarassé de mon manteau négligemment posé sur l'écran de télévision, l'esprit excédé par cet échange virulent qui tourne en rond depuis mille heures; du moins, me semble-t-il.
-Et qui te dis que ça sera le cas?
Ma cible aux cheveux blonds. Je la sens loin de moi depuis sa rencontre avec Ellie il y a quelques semaines. Cette apparition fortuite a semblé le tirer hors de la brume pendant quelques instants durant lesquels il a pu de nouveau se remplir les poumons d'air frais comme un apnéiste imprudent venant d'échapper de peu à la noyade.
Pendant combien de temps n'avait-il parlé qu'à moi? Le pauvre avait bégayé misérablement mais cette Ellie était passée outre et avait repris contact avec lui, visiblement ravie. Elle l'avait fait sourire. Elle avait osé le revoir à plusieurs reprises, ici, chez lui! Chez nous!
Rémi se balançait, occillait.
Un vibrement s'éleva soudain dans la pièce. Il provient du téléphone de Rémi qui l'attrape aussitôt. Je lis par dessus son épaule le message qu'il vient de recevoir:
De: Ellie
Hey! Tu es libre ce soir? Je te propose
de se retrouver en ville vers 18h, ça
fait longtemps.
Bise!
Le regard du jeune Dellan s'éclaire. Il commence à taper sa réponse mais ma main ne lui en laisse pas le temps. Elle vient frapper le téléphone et l'envoie faire un vol plané à travers la pièce pour finir sur le canapé renversé.
Ma cible se tourne vers moi. Elle reste immobile l'espace d'une seconde, puis se précipite vers le lieu de l'impact. Mais mes réflexes sont toujours aiguisés. Je l'attrape par la capuche de son gilet, l'étranglant au passage, et le projette sans ménagement en arrière, l'envoyant percuter le téléviseur qui s'écrase au sol sous le choc. Rémi se redresse néanmoins tant bien que mal et refait quelques pas prudents vers moi. Nous nous dévisageons en chiens de faïence, frappés de mutisme, jusqu'à ce que je finisse par briser le silence:
-Rémi, Rémi, Rémi...Où penses-tu te jeter en acceptant de revoir ton amie?
Mon bel interlocuteur me charge violemment sans chercher à me répondre. Je le bloque in extremis d'un coup de pied bien senti au ventre qui l'envoie rouler au sol. Il trouve cependant en lui la force de se relever à nouveau, plus déterminé que jamais. Enragé, il me hurle au visage:
"Quel est l'interêt de vivre?! À quoi peut-on passer sa vie si, quoi qu'il arrive, nous sommes tous voués à te servir d'amuse-gueule? Pourquoi vivre? Quelle est la logique derrière cette mascarade?!
-Ces questions trahissent bien ta ressemblance avec moi, répondé-je d'une voix onctueuse. Les vivants ne sont rien. Votre monde n'est que notre terrain de jeu, et vous, de faibles petits pantins de bois livrés à nos désirs."
Je m'avance et lui attrape les poignets. Il ne bouge pas d'un cil, probablement car il en est actuellement incapable, il continue de me toiser de son regard flamboyant. Je profite de cette immobilité passagère pour laisser mes mains explorer la chaire de son arrière-train. Je vois ses yeux s'exhorbiter, sa machoire se contracter sous mes caresses. Mais impossible pour lui de bouger pour l'instant. Mes doigts fins passent et repassent sur le tissu de son pantalon, caressant ses cuisses, ses fesses, glissant délicatement entre ses deux jambes... Il n'est que mon pantin. Mon blondinet de pantin que la brume de sa bague -de ma bague- finira tôt ou tard par étouffer. Comme les autres avant lui, il mourra. Il partira avec moi sans jamais avoir eu conscience du nombre astronomique d'êtres de l'Avant et de l'Après venus jouer à pile ou face sur cette terre. Et tous ces humains ne seront jamais que les pauvres acteurs de cette immense pièce de théâtre dont nous contrôlons tous les fils.
Les jouets du Destin.
Leur seul menu plaisir serait...
-Avec Ellie, je ne serait plus seul avec toi.
Cette phrase, il ne l'a pas crié. Mais jeté. Comme une arme mortelle contre l'Assassin. Sa liberté de mouvement est revenue. Il se dégage fermement de mon emprise.
Puis, sans prendre la peine de venir au contact une nouvelle fois,, il s'élance en direction de son téléphone sans m'acorder le moindre regard, tous ses sens focalisés sur son objectif. Il est à quelques centimètres d'y parvenir lorsque ses jambes s'effondrent sous mon poid. Je n'ai pas pensé à d'autres solutions pour l'arrêter à temps. À califourchon sur son dos, je passe mes doigts liés autour de sa gorge et tire de toutes mes forces. Un râle de panique s'en échappe. Il vaut mieux sans doute m'occuper de lui maintenant. J'ai trop joué avec le feu à tant vouloir attendre.
Non... Pas comme ça. Pas ici. Ça ne peut pas finir maintenant!
Rémi s'agite comme un dément, prisonnier de mon corps sur le sien, prisonnier à nouveau de mes doigts. Je le sens suffoquer douloureusement et se débattre pour s'arracher à mon emprise. Finalement, il semble que je m'inquiétais pour rien: La brume blanche causée par Ellie devait être trop faible.
Mais j'ai pensé trop vite car à l'instant où la gorge de Rémi se fait plus sèche, une orbe éclatante de clarté apparaît au niveau de son ventre et s'accroit à une vitesse terrifiante jusqu'à l'englober tout entier, tel un aura nuageux. Son contact me brûle et je n'ai d'autres choix que de battre en retraite.
Ma cible se relève lentement en se massant le cou, douloureuse. Puis, sans m'accorder un regard, baignée de cette lueur blanchâtre, elle attrape son portable et je devine en pensée ce qu'elle répond à son amie:
A: Ellie
Avec plaisir.
A tout à l'heure!
Rémi pose une regard contrarié sur la bague en forme de spirale qui orne toujours son doigt, bien qu'elle soit incapable présentement de créer la brume noire, tant la vapeur blanche sature l'air ambiant. Il tente une énième fois de s'en libérer mais sans plus de succés que les fois précédentes.
Cependant, si Ellie se révèle être une amie fidèle, nos chemins risquent bel et bien de bientôt devoir se séparer...
***
J'aime la nuit. La ville y est plus belle, moins peuplée, les ténèbres se mélangent aux lueurs jaunâtres des lampadaires et l'on devient soi-même l'une de ces ombres nocturnes. On fait partie intégrante de l'ambiance.
J'aime me promener quand il fait noir, tout d'abord car les passants se font plus rares, je suis tranquille. Et puis, l'air se refroidit, ce qui me donne une raison valable de me couvrir de pied en cap, tout en noir, sans que l'on se retourne sur mon passage en murmurant que je ressemble à un vampire. Oui, à cette heure, je glisse anonymement parmis les silhouettes noires peuplant les alentours, sans me préoccuper des autres. Des humains.
Triste à dire, je ne me sens vraiment bien que la nuit. J'ose à nouveau sortir, l'ombre me garantie une barrière à toute épreuve contre les Autres. Les autres qui deviennent étrangement insignifiants dans cet atmosphère. Ces autres dont le regard me brûle continuellement dans la journée comme un implacable fer rouge. On dirait qu'ils se sont éteints. Est-ce donc ainsi qu'elle doit les voir, cette sournoise et perverse mort? Comme des insectes qui tentent de se rendre le plus lumineux possible pour dissiper toute trace de ces ténèbres dans lesquels ils ne peuvent plus tricher?
Je commence à croire que je suis réellement un vampire.
Je marche à pas lent dans la vieille ruine. Il s'agit d'un vieux château moyen-âgeux en partie détruit, dont les restes trônent encore au centre de la ville. Je ferme les yeux, respire profondément, savoure cette sensation de sécurité qui m'envahit. Je pense à tous ces humains qui habitaient jadis ce lieu, et que la mort a emporté comme elle essaye à présent de m'emporter. Mais à cet instant, l'au-delà ne me fait pas peur. Seul chez moi, je me morfond, je me hais, je suis coincé avec cette maudite chose pâle, sombre et brumeuse qui voit en moi son prochain repas. Seul dehors, dans la fraîcheur nocturne, je mue, je redeviens humain, je vais moi-même à la rencontre des ombres qui effraient tant d'enfants le soir venu. Le noir me terrorise à l'intérieur mais il m'inspire une douce quiétude en ces lieux.
Quel mystère...
Je continue ma promenade, croisant de temps en temps quelque silhouette perdue au loin. Mon regard accroche l'ombre filiforme de moi-même qui m'accompagne au sol. Sa taille démesurée et ses formes déshordonnées me font penser à cette chose noire. S'agit-il bien d'elle? Ou bien peut-être n'est-ce vraiment que moi, une petite partie de Rémi Dellan qui ne peut vivre qu'en parallèle des Autres. Étrangement, cette pensée me galvanise. Me réconforte. Je me sens fort, même si ça ne doit durer que le temps d'une nuit.
Qui avait ressenti cela avant moi, déjà?
"Dans la nuit qui me protège, j'ose être enfin moi-même et j'ose... Où en étais-je? Je ne sais tout ceci, pardonnez mon émoi. C'est si délicieux, c'est si nouveau pour moi..."
Je prend conscience avec stupeur que je commence à présenter de nombreuses similitudes avec... Avec... Oui, les habits noirs, le teint pâle, une prédilection pour la solitude et la discrétion... Je lui ressemble de plus en plus... Jusqu'à mon ombre courant sur les pavés.
Je grimpe sur les remparts de la vieille forteresse et m'installe en tailleur, le regard perdu dans la société humaine s'étalant à mes pieds. Les étoiles s'allument doucement les unes après les autres. Suis-je donc obligé d'être l'un ou l'autre? Condamné à une vie sans saveur, être une goutelette d'eau dans cet océan de dictats et d'absurdités? Ou bien l'assassin qui vivra en marge de tout cela?
Je n'ai sans doute pas assez cherché, ou pas aux bons endroits. Il y a sûrement d'autres voies que ces deux-là, plus précaires certes, moins enviables, mais néanmoins des places pouvant pleinement m'accueillir. Pour l'heure, une seule pensée concrète flotte dans mon esprit embrumé, une seule certitude absolue: Je ne veux être et ne serai, ni condamné, ni Assassin.
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