Monde des Rêves 2.0 de Salomon Koubatsou

Monde des Rêves 2.0 de Salomon Koubatsou

Chapitre 2:l'enfant

 

Je m'avance vers la petite porte au fond du couloir. Il n'y a plus aucun doute, c'est là que m'attend ma prochaine cible. Une invisible brume noire m'y guide depuis des jours, s'épaississant dans l'air à mesure que je m'approche du but. C'est presque absurde que les humains ne remarquent pas ce phénomène, cet irréversible présage annonçant invariablement mon arrivée. Mais l'idée de leur mort les terrifient tant et leur paraît si abstraite qu'elle doit inconsciemment neutraliser cette faculté. Ils ne me sentent ni ne me ressentent. Ces êtres misérables si pétris de pseudo-culture et d'ambition restent sourds et aveugles aux choses de l'âme. Tant mieux. Mon travail n'en est que plus simple.

 

La porte est fermée à clef. Après tout peut-être que, dans son instinct maternel, la mère de Jules parvient finalement elle aussi à ressentir le sombre Destin qui stagne autour de son fils depuis des jours. Mais hélas pour elle, toutes ces infimes barrières sont vaines face à moi.

 

Je tapote la serrure du bout des doigts puis j'entends presque immédiatement un déclic m'annonçant que l'obstacle dressé sur mon chemin n'en est plus un. Je pousse tout doucement la porte et pénètre à l'intérieur. Il n'y a pas un bruit: tous doivent être en train de dormir à cette heure-ci. On se croirait dans un caveau. Me fiant à mon instinct, je me dirige à pas de loup dans la pièce du fond que je devine être la chambre des deux habitants de ce lieu. Ils dorment tout deux comme des bébés, la mère dans son lit et l'enfant dans son berceau. L'atmosphère est saturée par l'étouffante odeur de la mort prochaine. Une bulle gluante et suintante de peur accumulée heure après heure et que je m'apprête à crever.

 

 

J'aperçois la masse amorphe du petit Jules dans son berceau. Le jeune innocent dort profondément. Sa mère ne repose qu'à deux pas de lui. Mais cela vaut mieux pour elle qu'elle ne soit pas consciente; aucune mère en ce monde ne souhaiterai assister à ce qui va suivre...

 

Tout en me penchant sur le minuscule lit, je regarde plus attentivement l'enfant assoupi devant moi. Il n'est venu au monde qu'il y a sept jours et a dormi pendant cinq d'entre eux. Que connaît-il de ce vaste Univers ? Beaucoup trop peu pour me craindre en tout cas. Sans souvenirs, sans réflexion et sans ambition, l'âme de ce garçon est presque aussi pure que la mienne. Car oui, étonnament -pour vous, humains-, mon âme est plus blanche qu'un flocon de neige. Mais ce qui est valable pour moi l'est rarement aussi pour la gente humaine.

 

Jules ouvre et ferme ses petits poings potelés, toujours endormi. Pour lui, nul besoin d'user d'habiles stratégies; je me contente de poser la main sur son visage.

 

Je reste ainsi trois minutes entières, les membres figés, sans quitter des yeux le bébé dont j'entends les battements du coeur qui s'affole, cherchant où est passé l'air, tentant de retrouver ce précieux oxygène que je lui enlève si brutalement. Oui, tout s'agite là-dedans en cet instant. Pourtant de l'extérieur, Jules paraît toujours aussi serein. Comme si rien d'important ne se produisait. Alors qu'en vérité, il meurt.

 

Au bout de quelques centaines de seconde, j'entends un bruit sec provenant de la bouche que recouvre ma main, m'indiquant que Jules à cessé de lutter. J'ai du mal à contrôler ma respiration fébrile et de grosses gouttes visqueuses de sueur coulent le long de mon front blême: C'est comme si ma main avait aspiré sa vie hors de son petit corps !

 

Mais malgré cette irrépréssible poussée d'adrénaline, je peine à éprouver la satisfaction du travail accompli quand celui-ci comprend un enfant comme cible. Ces êtres sont encore vides en eux: aucune identité, aucune raison... Ils sont étrangers à la mort car pour eux, elle n'existe tout simplement pas. Ils ne font clairement pas des cibles idéales. L'extrême suaveté de la mise à mort repose en grande partie sur le jeu qui s'opère entre moi et la peur de la cible, son ignorance sur sa fin dangereusement proche, son angoisse dans ses derniers instants... De mon opinion, une cible au berceau est un gâchis pur et simple. Mais nécessaire. Après tout, personne n'échappe à l'appel du Destin.

 

Maintenant que ma tâche est accomplie, je dois me dépêcher de disparaître. J'ai beau ne pas m'émouvoir de cette vie interrompue, je n'ai aucune raison de m'attarder et d'assister au supplice de la mère quand elle tentera de réveiller son fils lorsque viendra le jour. La brume noire qui stagne dans la petite chambre se chargera amplement de la torturer mentalement pendant les jours à venir.

 

Et puis je n'ai pas de temps à perdre.

 



12/07/2017
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