Monde des Rêves 2.0 de Salomon Koubatsou

Monde des Rêves 2.0 de Salomon Koubatsou

Chapitre 3: Bienvenue en Rêve

   Je marche à pas lent le long de l'interminable arcade bleutée dont les parois translucides résonnent de tout côté des échos de l'Univers. Je sens mon être habité par une force, une puissance irrésistible. Je me sens invincible. Impénétrable. Le Monde des Rêves est à moi, mon gigantesque terrain de jeux dans le maëlstrom du tourbillon du Temps. Tous les humains passés, présents et futurs, passés et futurs, futurs présents, tous les présents passés, liés pour l'éternité dans la voûte brumeuse que j'arpente depuis l'aube de tout.

 

   Une ombre blanchâtre se détache des faisceaux lumineux qui sillonnent l'arcade, et vient tournoyer autour de moi un bref instant comme elle semblait se plaire à le faire jadis, avant de monter en chandelle et de disparaître au loin, laissant une traînée cotonneuse dans son sillage. Voilà qu'il quitte le Monde des Rêves pour l'éternité...

 

  Le petit Mattéo qui sautait trop.

 

-Sasha! Si vous n'êtes pas capable de vous tenir convenablement pendant mes cours, vous êtes priée de sortir!

 

  Que...Qu'est-ce qui...

 

  Et merde!

 

   Je me frotte vigoureusement les paupières en tentant d'ignorer les murmures moqueurs de mes camarades qui me fixent tous débilement d'un air amusé. Un irrésistible baillement s'échappe de mes mâchoires sans que je ne puisse rien faire pour l'arrêter. Apparement, cet acte était l'impertinence de trop pour monsieur Rodrigue dont les yeux me lançent des éclairs tandis qu'il beugle à plein poumon :

 

-Hors de ma classe, Sasha! Vous continuerez votre petite sieste en salle d'étude!

 

-Je m'appelle PIE!

 

   L'énervement m'aide à me réveiller. Je ramasse mes affaires et me dirige pâteusement vers la sortie sous les éclats de rire de tous ces imbéciles. L'abruti... J'ai toujours trouvé ridicule la paranoïa de certains profs qui guettent en permanence le moindre signe de rébellion chez leurs élèves. Je ne faisait simplement que dormir! C'est incroyable comme les adultes prennent toujours tout comme de la provocation de la part des adolescents!

 

   Le couloir est désert. Je pose mon sac par terre et m'assoie contre le mur, les yeux clos, tentant de retrouver les sensations et les images de ce rêve dont monsieur Rodrigue vient de m'arracher... C'était un lieu incroyablement vaste, résonnant au moindre de mes pas comme dans une cathédrale, traversé de tout côté par de mystérieux courants d'air invisibles qui semblait me murmurer quelque chose et dont l'écho se répercutait encore et encore contre les parois transparentes en forme d'arcade. Et puis il y avait ce sentiment de confiance, cette impression de puissance qui avait pris possession de moi alors que j'arpentais cette voûte, comme une souverain dans son royaume. J'avais senti mon esprit habité d'une sérénité sans pareille, d'une certitude inébranlable que le monde tournait comme il le fallait.

 

  Je n'avais encore jamais ressenti cela de toute ma vie...

 

   Le hurlement strident de la sonnerie me fait sursauter violemment, m'arrachant pour la seconde fois en cinq minutes à mes songes. Les raclements typiques des chaises résonnent à travers les murs des salles de classes. Les élèves ne vont pas tarder à jaillir dans le couloir, je ferais mieux de m'y mêler. Je me relève avec peine, empoigne mon sac et plonge dans la marée humaine qui m'entraîne vers une extrémité du couloir. Quel supplice de revenir aussi brutalement parmis les vivants après avoir été aussi bien dans cet étrange lieu bleuté! Si je m'écoutais un peu plus, j'irai m'isoler dans un coin tranquille pour tenter de finir enfin mon somme.

 

  BOUM!

 

-Aïe! Fais gaffe un peu, pauvre conne!

 

-Pardon! Fous-moi la paix, j'ai pas fait exprès!

 

   Des mains ont empoigné mes épaules par derrière avant de me pousser, m'envoyant percuter un crétin de grand type de terminale qui me rembarre un coup avant de partir, agaçé. Rouge de honte et de colère, je me retourne le plus vite possible pour identifier l'auteur de cette blague moisie avant qu'il ne se perde dans la foule.

 

  Il est toujours là, derrière moi.

 

  L'exclamation de rage que je m'apprétais à pousser en le voyant se bloque dans ma gorge.

 

   Le visage pâle, les cheveux bruns ras cachés par une capuche, les yeux d'une couleur noirâtre qui leur donne l'air éteint, les mains disparaissant dans les manches trop grandes d'un sweat informe, elle me sourit froidement. Sans joie, sans sympathie. Mais "elle", vraiment? S'agit-il bien d'une fille? N'est-ce pas plutôt un garçon? Impossible de trancher. Impossible de toute façon de se concentrer. Je ne peux que la fixer comme un zombie, comme un fantôme, les pieds plantés au mileu du couloir, gênant le passage, me faisant bousculer de part et d'autres.

 

  Est-ce un hallucination?

 

  Alors, quel effet cela te fait-il, Pie, de te retrouver face à toi-même?

 

  Je ne sais ce qui me retient de hurler.

 

  Je me redresse brusquement, la tête comme écrasée à coup de marteau. Cette sensation...

 

  Partir. Vite.

 

  Cette formidable décharge d'énergie qui venait de me traverser... Est-ce enfin l'heure? Est-ce le temps du nouvel Elu?

 

  La sortie!

 

   Je sens mon esprit se voiler l'espace d'un instant durant lequel il sembla devenir une créature indépendante. Je sens déferler en moi un torrents d'image, de paroles, de sensations qui ne m'appartiennent pas et dont le possesseur n'a aucune idée du destin qui est le sien à partir de maintenant.

 

-Oh! Pie! PIE! Relève-toi!

 

  Hein...?

 

  Les gens passent. Les gens passent. Un couloir bondé, impossible de passer.

 

-Allez, essaie de te relever, je t'emmène à l'infirmerie. Tu n'as pas l'air bien aujourd'hui.

 

  Quoi...?

 

  Tu ne peux pas t'enfuir. J'ai appris ton existence; dorénavant je ne te lâcherai plus.

 

  Ma tête... Ma pauvre tête...

 

  Une terrible émotion que je n'avais jamais ressenti auparavant me traversa soudain. Ça ne peut pas s'être réellement passé. L'espace d'un instant, j'ai probablement perdu la raison; j'ai cru...

 

  Non, cela ne pouvait pas être moi-même, cette silhouette aux yeux noirs! C'était impossible...

 

   C'est lui, c'est elle qui ressent cette colère dévastatrice venue de nulle part et déchirant la moindre de ses entrailles. Ce sont ses pensées qui défilent sans cesse dans mon esprit. Ce sont nos yeux qui se toisent froidement avec ce mélange de mépris, de défiance et de...

 

  de...

 



25/07/2018
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