Monde des Rêves 2.0 de Salomon Koubatsou

Monde des Rêves 2.0 de Salomon Koubatsou

Chapitre 4: Traque et capture

  Enfin! Enfin l'occasion de faire s'agiter un peu le monde!

 

   Voilà douze heures que je remonte la piste de l'Elu. Des volutes de brumes noires me guident vers sa trace comme s'il s'agissait d'une vulgaire cible humaine; mais cette fois, quelque chose s'ajoute à ces balises. Une impression, une sensation comme de l'eau, comme des voix que l'on ne pourrait que voir alors même qu'elles sont transparentes. Les murmures du Monde des Rêves acourent vers Pie.

 

   Je traverse les routes de campagne, les villes, les égoûts, les toits des immeubles. Voilà 2500 ans que j'attendais l'occasion de me divertir. Il y a dans le Monde des Vivants, un humain qui n'en ai pas un. Un minuscule échantillon de brume habite son corps. Cette parcelle de rêve peut lui ouvrir les portes des engrenages de tout l'Univers et lui permettre d'entrer en résonnance avec ce qu'un humain ne peut connaître. L'Avant. L'Entre-Deux.

 

  Rien dans mon travail n'est plus intéressant que ces moments de grâce, quand le destin se met en marche et que tout est alors susceptible de changer du tout au tout.

 

  Je cavale, ivre, sur les toits de la ville, mon long manteau noir flottant voluptueusement derrière moi.

 

  J'aperçois un humain sur ma trajectoire. Un ouvrier du bâtiment sans doute, au vu de son casque jaune. Peut-être un train de travailler.

 

  Sans ralentir, j'empoigne mon couteau dasn ma poche gauche et sprint de plus belle, les yeux rivés sur mon bonhomme casqué.

 

  Quand je ne suis plus qu'à deux mètres de lui, je bondis dans les airs, atterris sur ses épaules et le fait basculer en arrière de tout mon élan. Sans attendre qu'il soit tombé, mon couteau se plante dans sa nuque.

 

  Schling! Ma cible est morte avant d'avoir touché le sol.

 

  Comme il peut être bon de temps à autres d'effectuer de simples assassinats directs et sans prises de tête! Il m'arrive parfois de l'oublier.

 

  Je continue ma course, sautant de toit en toi. Je n'ai aucun besoin de me reposer. D'ailleurs, je sens que je touche au but. Pie n'attnds que moi.

 

  Dans ma vision d'il y a quelques heures, j'ai pu obtenir certaines information sur elle... ou lui?

 

   Pie avait donc originellement été appelée Sasha... Bien sûr, Sasha, comment ne pas s'en souvenir. Je pensais moi aussi, à sa naissance, qu'il s'agissait véritablement d'une petite fille. Son absence de sexe doit être un effet secondaire de la brume noire. Un Elu n'a pas besoin de sexe. Comme le Temps. Comme la Nature. Comme moi.

 

  Pie n'est avant tout qu'un corps.

 

   Durant notre brêve communion tout-à-l'heure, j'ai aussi et surtout pu sentir ce gouffre, cette abîme de vide qui stagnait dans son esprit. Pie a conscience de sa différence, sans avoir néanmoins la possibilité de la comprendre. Et dans tous les esprits de l'Univers, le sien inclus, l'incompréhension mène à la détresse. Et la détresse, pour n'importe quel être vivant, humain comme animal, n'échappe que trop facilement à tout contrôle et peut bien trop rapidement se transformer en diverses émotions bien plus malsaines encore.

 

  Comme c'est exitant d'être l'Assassin décidément!

 

   La brume et les chants s'infiltrent à travers les stores d'une fenêtre d'un immeuble. Probablement la chambrer de Pie. J'espère que je ne vais pas interrompre son sommeil (ai-je précisé que nous sommes présentement en pleine nuit?) mais je pense deviner que le jeune oiseau ne dois pas fermer l'oeil. Sûrement en train de se repasser dasn sa tête les fantasmagories de sa journée.

 

  Je me glisse à travers les stores fermés de la même façon que si mon corps n'était lui aussi qu'un grand brouillard.

 

   Je n'ai même pas encore foulé le sol de sa chambre que Pie redresse la tête, en alerte. Je m'avance. Je me poste devant son nez mais son regard passe à travers moi comme à travers de l'eau. Je suis invisible. Mais Pie sent tout de même que je suis là. Et que je l'observe.

 

   Nous avons toute la nuit devant nous pour faire connaissance. Autant donc se mettre à mon aise. Je jette mon manteau noir sur le lit où Pie se tient en position assise, pieds nus, portant encore ses vêtements de la journée. Je m'asseois à ses côtés. Comme j'aime évoluer sans manteau! Les occasions de laisser mon corps nu sont plus rares qu'on ne le pense.

 

  Je laisse la tension ambiante nous piquer une minute, puis j'approche mes lèvres de son visage:

 

  -Salutation, Pie.

 

   Sa respiration est aussi ténue qu'un fil de toile d'araignée mais je sens son pouls s'accélérer. D'un coup, son regard se tourne vers moi. Un regard fixe, un regard planté. Pie me regarde sans bouger. Je lui sais 15 ans mais son aspect androgyne lui donne l'air juvénil d'un enfant. Cependant, aucun enfant dans le Monde des Vivants ne possède des iris aussi sombres et une peau aussi blanche, ainsi que cette expression à la fois sérieuse et tourmentée. Tant de contradictions qui, je l'avoue avec grand plaisir, lui confèrent un charme certain. Je lui parle à nouveau sans empêcher mon sourire de s'agrandir:

 

-Ne me dis pas que tu attendais ma venue?

 

***

 

  Ça a parlé. La chose m'a parlé!

 

  Je tente de reprendre mes esprits et rassembler mes idées au plus vite. Je ne dois surtout pas montrer mon trouble. Pas maintenant.

 

-Oui et non je pense... Qui êtes-vous exactement?

 

   La chose me sourit. Je la sens sourire. C'est comme regarder l'ombre d'une image: on en voit pas grand chose mais on en distingue les formes, certaines nuances, on peut en déduire de nombreuses caractéristiques... La chose qui s'est incrustée dans ma chambre n'a pas de forme humaine, juste une sorte d'aura qui attire l'attention, qui nous fait dire qu'une présence se trouve à proximité. Et puis, il y a une odeur spéciale, à la fois chaude et un peu âcre. Une odeur vieille. On entends ses bruits aussi, des bruits vifs, comme des courants d'airs. Mais aussi aussi de lourds soufflements, des râles. Ainsi, même si elle n'a pas de visage, je devine que la chose exprime en elle un sourire pervers.

 

-Je suis ton Assassin.

 

  Ces mots n'auraient pas été prononcés d'une façon différente s'ils avaient été "Je suis ton serviteur"

 

   J'avoue, sans avoir vraiment eu conscience jusqu'à maintenant, j'ai toujours un peu attendu ce moment. Peut-être parce qu'être réellement confrontée au surnaturel me rassurerait et m'aiderait enfin à comprendre ce qui ne tourne pas rond chez moi.

 

-Qu'est ce qui ne tourne pas rond chez toi selon toi, petit oiseau?

 

  Mon coeur loupe un battement. L'Assassin lit dans mon esprit! J'ignore si cette marque de pouvoir me contrarie ou m'impressionne. Peu importe, contente-toi de répondre!

 

-J'imagine que vous le savez, sinon vous ne seriez pas là.

 

  Clac! Un souffle me fouette la joue aussi violemment que si ça avait été un martinet. Le côté gauche de mon visage me semble chauffé à blanc. La voix de l'Assassin persifle à mes oreilles:

 

-Ne vouvoie pas! Je ne suis pas un bête humain! Parle-moi sans t'aplatir!

 

  Voilà autre chose. Cette attaque éclair manque de me faire perdre mes moyens. Je reprend la parole avec un débit de mitraillette, de peur d'être de nouveau interrompue:

 

-Je ne suis pas comme les autres, Je le sens! Ma mère, mes profs! Je ne vis pas avec les humains! Je vois des choses qu'ils ne voient pas! Je pense à des choses qu'ils n'imaginent pas! Je sais des choses, je sens des choses qui les feraient trembler!

 

  Boum! Une bombe explose dans mon coeur.

 

   Les gonds de la porte se mettent à trembler, ainsi que les battants de l'armoir et l'ampoule accrochée au plafond. La lumière de la pièce s'obscurcie d'un coup; tout devient grisâtre, comme chargé de fumée. Mes oreilles tintent sourdement, la sueur me coule dans le dos. Voilà pourquoi je ne suis pas comme eux. Il y a quelques chose en moi qui m'effraie. Une bombe, une force, une grenade qui pourrait peut-être même tuer quelqu'un, j'en ai la certitude, si je le désirais vraiment. Si l'envie m'en prennait soudain.

 

  De l'air chaud, presque humide, caresse ma joue meurtrie. La Chose est assise tout près de moi, presque collée à mon visage.

 

-Petite Pie, ton coeur est pénétré par le Monde des Rêves. Ton corps balance entre les vivants et l'infini qui reste. Ton corps n'est pas humain. C'est pourquoi tu n'as pas besoin d'être une femme.

 

  "Tu n'est qu'un corps"

 

   Cette fois, c'est vraiment malaisant. Mon intimité, merde! Mais j'ai à peine le temps de me renfrogner que l'Assassin apparaît. Tout doucement. D'abord translucide comme un fantôme, son enveloppe corporelle apparaît de plus en plus nettement.

 

   La ressemblance entre nos deux corps me frappe comme un choc éléctrique. Comme le mien, son corps est blanc, asexué, plat, s ans graisse ni musculature, sans poil et sans forme. Comme les miens, ses yeux sont prodigieusement unicolors. Blancs comme la neige. Son visage est maigre et émacié. Ses cheveux gris sont longs, emmêlés et clairsemés. Ormis les yeux, j'ai l'impression de contempler mon image vieillie de mille ans.

 

  Sans m'en être rendu compte, j'ai enlevé un à un mes vêtements et laissé l'Assassin contempler son image enfantine.

 

   Nous restons là un moment, face-à-face, nus et immobiles, une étrange brume noire émanant de nos corps. Même si je tente de ne rien en laisser paraître, l'Assassin doit sûrement sentir que mon excitation est à son comble. Me retenir est trop dur, je ne peux plus me contenir.

 

   Je projette la brume hors de mon corps comme des tentacules. Je la fait s'agrandir, se répendre, puis se plier, se cabrer, je la fais tournoyer, frapper les murs. Mon armoire tremble de plus belle. Mon regard tombe sur un cahier de classe ouvert et posé sur mon bureau. D'enormes gouttes de sueur me coulent dans les yeux tandis que j'élance toute ma force contre ses pages. Une haine féroce me tords les boyaux. Une colère aussi noire que la brume, un désir de goûter à la destruction. Un chaos brut.

 

  Une odeur de brulé atteint mes narines, me ramenant brutalement dans la réalité de ma chambre.

 

  L'Assassin a disparu. La brume noire également. Je vacille dangereusement terassée par cette effroyable dépense d'énergie. Je m'avance en titubant vers mon bureau.

 

  Les pages du cahier sont toutes calcinées.

 



25/07/2018
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