Chapitre 9: L'Ascension
Avant de m'occuper de l'enfant, chargons-nous d'abord de sa mère.
La tâche sera rudement facile, ma cible est vissée à son siège de bureau, le regard plongé dans l'écran de son ordinateur; elle ne s'apercevrait même pas de ma présence si je sonnai à la porte. Un magnifique exemple de l'aveuglement humain.
J'ai un mépris naturel plus ou moins poussé envers les vivants (à juste titre, cela va de soi) mais Isabelle fait néanmoins partie d'une catégorie supérieure de créatures méprisables. Je ne vois clairement pas quel aura été son but dans la vie; elle-même ne semble pas le savoir, ni même s'en soucier. L'Amour, cette sensation exclusive aux humains, semble avoir délaissé son coeur. Elle n'en a jamais vraiment reçu ni jamais vraiment donné. Elle est sèche.
Une âme accrochée à Internet comme une tique à un morceau de peau.
Je sors de ma poche un minuscule automate en forme de guèpe fabriqué par mes soins. Aussi vrai que nature, impossible de faire la différence avec un insecte authentique. Je caresse ses petites ailes à sept reprises et l'engin s'envole gracieusement vers sa proie dans un léger bourdonnement.
Épiant la scène derrière la porte, je laisse un peu tournoyer l'appareil autour d'Isabelle: je ne vois pas ce qui pourrait me priver de jouer d'innocents petits tours à mes cibles avant de passer à l'action. Cette dernière tente de chasser ma guèpe d'un geste agaçé de la main, tout en jurant avec force contre les nuisibles de ce genre qui envahissent sa maison.
Nuisibles. Quelle ironie venant de sa part! Et elle ne se rendra même pas compte de sa sottise!
Bien, cessons de tourner autour du pot. Ma guèpe mécanique fonce droit sur son cou et son dard empoisonné s'y enfonce.
Cela ne dure que le temps d'un clignement d'yeux, juste le temps nécessaire pour que mon poison se répende dans sa jugulaire et pénètre dans son système sanguin. Maintenant, elle est fichue. Elle mourra d'ici deux semaines. Et sa seule réaction est de s'énerver d'avantage tout en frottant vigoureusement de sa paume grasse, l'endroit de l'impact de la piqûre. La pauvre mégère n'a aucune idée de ce qui la guette. Elle est à mille kilomètres d'imaginer la crise cardiaque qui l'attends dans quinze jours. Cette perspective fait crépiter mon ventre.
J'ai déjà hâte de la retrouver.
Mais passons maintenant au plus important. Je laisse Isabelle en compagnie de ses grossièretées et me dirige sans bruit vers la chambre de Pie, qui, loin de se douter du triste sort de sa génitrice, setient couchée sur son lit, la tête se vidant peu à peu, tentant de relâcher le moindre de ses muscles.
S'apercevra-t-elle seulement de la mort d'Isabelle quand le moment viendra?
Mais actuellement, l'Elue ne semble pas disposée à s'apercevoir de quoi que se soit se passant au sein du Monde des Vivants. Bien sûr, je sais parfaitement ce qu'elle essaye de faire. Les yeux fermés, le corps lâché, tentant de se libérer de son flot de pensées, de la brume noire, tentant de s'élever hors de son enveloppe charnelle... Je ne m'y tromperai pas:
Pie tente d'accéder au Monde des Rêves.
Je peux déjà sentir son esprit glisser de son corps comme un léger ruisseau, à mesure que mon cher oisillon se détache de sa réalité. Ces efforts sont exceptionels pour un simple humain, je ne peux que le constater. Néanmoins, sans mon aide, je doute qu'elle parvienne à son objectif.
Sans un bruit, je m'installe à califourchon sur son torse plat et saisi délicaement ses bras. Lentement, je tente de mêler mon esprit au sien, de nous hisser vers mon royaume avec la même facilité que si j'y hissais son corps.
Jamais auparavant je n'avais emmené un Elu au-delà du Monde des Vivants. Mais la condition mentale de Pie est particulière, sans doute cela lui sera bénéfique de découvrir d'autres particules de l'Univers.
Je suis l'Assassin. Je dois l'accompagner.
Nous nous envolons littéralement, de plus en plus loin de la demeure grisâtre d'Isabelle, de plus en plus loin de la petite chambre de Pie. Son corps se fait de plus en plus translucide sous mes doigts, bien qu'elle semble toujours en transe, évanouie par la dépense d'énergie qu'elle a dû fournir.
D'ailleurs, la finesse de ses membre a failli me surprendre. En tenant ses bras entre mes doigts, j'ai pu sentir qu'ils n'étaient composés que d'os et de faibles ligaments musculaires. Mais bien qu'il aie toujours été maigre, son aspect , je le sais, n'a pas toujours été aussi famélique. Sans doute est-ce une conséquence de cette brume encore incontrôlable: son corps ne sait plus où se trouver entre le monde des humains et celui des rêves.
Ce balancement incessant est peut-être littéralement en train de la dévorer.
-Un oiseau qui peut voler, dans tous les sens du terme. J'ai plutôt bien trouvé mon nom, pas vrai?
Pie a ouvert ses yeux d'encre et contemple le déferlement d'ondes noires et blanches qui fusent de tout côté devant nous. Peut-être que ces couleurs lui rappellent le plumage du volatile dont elle a volé le nom.
La voûte transparente s'étend maintenant devant nous. Tout autour, les habituels murmures viennent accueillir notre arrivée. Un flot de puissance s'insinue en moi. Je m'élance dans l'espace infini qui constitue mon royaume, l'esprit déjà embrumé par les âmes que je sens me frôler de part en part tandis qu'elles vont et viennent, apparaissant soudainement, tournoyant dans le vide bleuté et disparaissant je-ne-sais-où.
Quel lieu grisant... Je me retourne vers Pie, saluant la présence de l'Elue dans les mondes incorporels auquels elle appartient en partie. Cette dernière inspire et expire lentement, souhaitant sans doute se gorger les poumons de cet oxygène qui n'existe pas, de ce non-air.
Plus loin...
Puis je sens à nouveau son esprit tenter de s'élever. Non, plutôt de s'éparpiller. Au lieu de se diriger vers le haut, je le sens tenter de s'étendre dans toutes les directions à la fois.
Plus loin!
Le Monde des Rêves ne lui suffit donc pas? Souhaite-tu vraiment voyager plus profondément encore dans les rouages del'Univers?
Tu ne comprends rien. Il me faut une vue d'ensemble. Si je veux comprendre ce que cela signifie, il me faut le plus grand recul possible. Et je dois y parvenir seule. Laisse-moi.
Je laisse éclater la brume à l'intérieur de moi, tout en prenant soin de ne pas me laisser envahir âr une quelconque pensée parasite. De cette façon et pour la première fois de ma vie, j'évite à ma rage de se réveiller. Mon corps semble fondre tandis qu'un flot de sensations nouvelles m'assaille de toute part. Le moindre de mes membres est engourdie. Jeperds le contrôle de mon cerveau et alors, se mettent à défiler dans ma tête des couleurs et images inédites, venant des quatre coins de l'Univers.
Je remonte à travers les siècles, les états de la Terres, le long de tout l'engrenage du Temps. Tous les âges de la Foi, de Dieu, de l'Assassin. Je retrouve la naissance de cette essence perdue depuis toujours, le véritable cadavre de l'oiseau se trouvant dans la boîte de Pandorre. Je me remémore les origines de tout...
Jusqu'à finir devant le Temps lui-même.
...
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