Chapitre 8: Dieu
Les yeux fermés, j'essaie de visualiser la ville au Moyen-âge, avec des habitations trois fois moins grandes et quatre fois moins nombreuses. L'église St-Pierre devait paraître alors d'autant plus impressionante, s'élevant jusqu'aux cieux eux-mêmes, en lien direct avec l'Avant et l'Après. Tu m'étonnes que les gens d'autrefois en étaient intimidés. Quand on est plus grand que tout le monde, il est facile d'imposer sa loi. Dieu semble l'avoir bien compris.
...Mais moi, qu'est ce que je suis en train de fabriquer à l'intérieur?
Les murs dégagent une douceâtre odeur de poussière et de renfermé. La lumière filtrant au travers les vitraux colorés tamisent la pièce d'une délicate nuance dorée. Cet endroit n'a pas connu le dehors depuis des siècles. Je comprend mieux pouquoi on l'appelle un sanctuaire. Les parois sont étrangement semblables à celles de la voûte du Monde des Rêves, telles que je m'en souviens dans mes hallucinations; elles résonnent du même écho, du même murmure, accompagné par le chant de l'orgue.
Mais qu'est-ce que je fabrique ici?!
Qui faut-il aller voir maintenant? La statue du Christ? Le curé du confessional? Je décide de tenter cette seconde idée.
Je n'ai jamais pénétré dans une église avant aujourd'hui. Ma mère n'est pas croyante, que ça soit pour la question de Dieu ou pour moi; et je n'avais jamais eu jusqu'à maintenant, le besoin de m'en remettre à la foi. J'ai la désagréable impression d'y être aussi pataux et maladroit qu'un chat tombé dans une mare. Mes pieds traînent avec disgrâce sur les dalles froides. Est-ce réellement ici que j'obtiendrai des réponses?
Je bloque un instant devant le long rideau rouge, hésitant sur la procédure à suivre: peut-être faut-il s'annoncer avant d'entrer, ou bien même attendre un "au suivant"... Tant pis, j'entre malgré tout. Si ça n'est pas correct, il me virera et je n'aurai qu'à revenir plus tard; ou même tout simplement ne pas revenir.
Je m'agenouille dans le pénombre, aussitôt perturbée par le mur de bois se trouvant à deux centimètres de mon nez. Une voix s'élève, m'arrachant un sursaut:
-Qu'avez-vous à confesser mon enfant?
À confesser? Mais rien! Enfin... rien qui ne soit clairement une faute! Je n'ai encore jamais rien fait de mal. À part peut-être cet emprunt des montres de la concierge quand j'étais enfant, mais j'étais sûrement trop jeune pour qu'un Dieu m'accuse d'avoir péché. Mais pour ce qui est d'aujourd'hui, est-ce un crime de ne pas être entièrement humain? Je veux dire, si Dieu existe, Il doit bien savoir que je n'y suis pour rien dans toute cette connerie qui me fait haïr les autres. Bon, je sais bien que la colère est censée être un péché capitale. Mais Dieu est miséricordeux, non?
La voix s'élève à nouveau:
-Si vous n'arrivez pas à le formuler, vous pouvez prendre le temps qu'il vous faudra pour y réfléchir, mon enfant. Vous pourrez revenir quand vous le souhaiterais.
Merde, il veut me virer. Tant pis pour les convenances, il faut exprimer maintenant tout ce qui m'occupe l'esprit. Je tente de formuler un début de phrase logique mais quand j'ouvre finalement la bouche, seuls sortent six mots:
-J'ai un assassin dans mon coeur.
Je me mord la langue, exaspérée par ma crétinerie. La voix laisse passer un ange avant de me répondre laconiquement;
-La Folie est malheureusement profondément humaine.
Mais ça n'est pas de la Folie!
Nouveau silence.
Oh merde, est-ce que je viens vraiment de crier ça à la gueule d'un curé...?
Ça n'est pas de la Folie. Pas de la Folie.
Une part de moi est piquée au vif par cette conclusion tranchante mais au fond de moi, je sais qu'il a mis le doigt exactement là où il fallait. Des accès de colère, des voix dans ma tête, des hallucinations. Est-ce que je suis simplement malade ou bien cette folie est-elle apparue avec l'Assassin? À l'instant, j'ai le besoin puéril de me sentir protégée, de me sentir enfin écoutée.
-Le seigneur m'entend-il?
Même si je me demande pourquoi je pense qu'il pourrait m'aider celui-là.
-Y croyez-vous?
-Non.
-Ça ne fait rien. Il vous entendra quans même.
De mieux en mieux. Ce curé est vraiment bizarre. Il n'a pas vraiment l'air surpris ou choqué de ce qu'il se passe dans ma tête. Et s'il connaissait l'Assassin? Ça n'est pas impossible, leurs boulots ont plusieurs points en commun; ou alors peut-être que c'est parce qu'il connait celui qu'on appelle Dieu?
Sans rien rajouter, je m'extirpe du confessional. Je marche à pas lent à travers l'église, contemplant sur mon passages les différentes statues qui me couvent de leur regard de marbre. L'atmosphère qui règne ici est étrange. Malgré mon manque de foi, je ne peux m'empêcher de ressentir un profond sentiment de sécurité dans ce lieu. Comme si l'Assassin et la brume ne pouvaient pas m'y atteindre. Tout en marchant, je songe que j'ai probablement raison: ce sanctuaire est comme le Monde des Rêves, c'est un lieu de passage entre un monde et un autre, entre les vivants et l'Avant.
C'est à ce moment que je prend conscience que les êtres comme l'Assassin ne se désintéressent pas systématiquement de nous: si certains nous méprisent et ne demande qu'à nous voir souffrir, d'autres nous aimes, d'autres tiennent à nous accompagner sur le chemin de notre existence, à nous soutenir jusqu'à ce que notre route croise celle de l'Assassin.
Je m'arrête devant l'immense statue du Christ. De l'opinion général, c'est l'être de cette salle le plus proche du ciel, du Créateur. Je l'observe longtemps. Est-ce que cet homme mort depuis deux mille ans a connu l'Assassin? Quels secrets pourrait-il m'apprendre?
Je jette un rapide coup d'oeil aux alentours: personne ne s'intéresse à moi. Je passe en dessous de la barrière de sécurité, m'avance vers la vieille statue et enlaçe Jésus. Le froid de la pierre me surprend mais je m'efforce de ne pas relâcher mon étreinte. Quelque part en moi, dans la partie de mon esprit reliée au Monde des Reves, je tente de percevoir une voix, un signe, un message de ce si célèbre prophète censé appartenir à l'Avant. Je me concentre plus que je ne l'ai jamais fait dans ma vie, mes bras toujours serrés autour des jambes du mort, j'ouvre tous mes sens au maximum...
Je n'entend rien, ne ressens rien, si ce n'est soudainement un léger courant d'air à la fois frais et réchauffant comme un ruisseau en apesanteur, qui se développe dans mes jambes et remonte doucement le long de mon corps, enveloppant mon coeur, ma tête, mes mains, enveloppant la statue avec moi, et s'élevant encore plus haut, encore plus loin que la vieille église. Je la sens glisser dans l'espace et s'évanouir petit-à-petit dans l'atmosphère, jusqu'à disparaître totalement.
À présent, les jambes de pierres sont tièdes sous mes mains. Je me décolle délicatement de la statue, l'esprit étourdit par cette vague indescriptible qui vient de me transpercer. Je fixe un temps le visage béat du Christ: et si c'était lui? Ou du moins, quelque chose d'Au-dessus?...
De retour chez moi, je ne cesse de cogiter, l'esprit trop excité pour songer à me reposer. Les forces des créatures comme l'Assassin s'étaient à nouveau manifestées; cette fois, à travers Dieu. Il existe une logique, un lien entre tous ces êtres, un engrenage subtil qui dirige ces situations, c'est certain! Quel est mon lien avec cet univers? Pourquoi ai-je un Assassin dans mon coeur? Tout est lié, il n'y a plus de doute possible! Je dois comprendre! Je dois découvrir quel destin me reservent ces pouvoir.
Plus d'hésitation, je dois pénétrer dans le Monde des Rêves.
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